"Au fond, je n'étais pas fait pour être artiste. (...) Quelle étoile extraordinairement bienveillante m'a permis de chanter, sans voix, pendant près d'un demi-siècle, en obtenant d'abord, en conservant ensuite, l'intérêt de ceux que j'ai appris à juger come le public le plus versatile et le plus nerveux du monde entier? Le public français!"
L'homme de 58 ans qui écrit ces mots au lendemain de la seconde guerre mondiale n'est autre que le plus populaire de nos chanteurs, Maurice Chevalier. Le môme de Ménilmontant a débuté sur les planches au moment ou naissait un XXième siècle qui, en guise de reconnaissance, le gratifiera d'une renommée mondiale. S'il rédige ses mémoires*, c'est en premier lieu pour tenter de dissiper les brumes des procès intentés à son encontre après la Libération. Non, hélas, Chevalier ne fut pas un héros. Faut-il prétendre qu'il fut un salaud? Il fut complaisant. Comme la plupart des artistes non juifs qui poursuivirent leur carrière sous l'Occupation; comme la plupart des Français dont il était, finalement, un parfait représentant. Oui Chevalier a chanté sur les ondes de Radio-Paris, ce qui n'échappa pas à Pierre Dac. L'animateur caustique de Radio Londres parodia plus que de raison l'homme au Canotier avant de se porter à son secours quand le chanteur fut traduit devant les tribunaux de la Libération.
Contraint toutefois au silence pendant quelques temps, Chevalier mit à profit cet isolement pour rappeler à son public l'incroyable histoire qui les liait depuis 1901. Depuis l'époque heureuse de la chanson qu'on appelait Café-Concert ou Caf'Conç'. Depuis les Mayol, Fragson, Polin ou Dranem, que le petit Chevalier prit pour modèle. Dans ces fameux mémoires, il ne cesse de s'étonner, contraint d'admettre l'incroyable destinée de ce gosse de rien devenu en 1930 l'une des stars d'Hollywood les mieux payées, Roi du Top Ten, respecté par Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks et Les Marx Brothers. Plonger dans les mémoires de Maurice Chevalier c'est s'immerger dans l'Océan de l'Histoire du Music-Hall. L'on y suit le quotidien des chanteurs de Caf'Conç' des années 1900, l'on assiste aux revues fastueuses du Moulin-Rouge et du Casino de Paris aux côtés de Mistinguett, l'on s'imisce sur les plateaux d'un cinéma encore muet, l'on vibre aux Opérettes qui firent la réputation des Bouffes-Parisiens, l'on caresse le rêve Américain et ses voies lactées constellées d'étoiles entre Broadway et l'âge d'or d'Hollywood, l'on participe aux triomphes d'Edith Piaf à New-York... Une carrière de 70 ans racontée en détail, voilà une bien précieuse source d'informations pour qui aime la chanson et ses petites histoires qui font la grande Histoire.
Aujourd'hui, il ne reste pas grand-chose de cette légende. Disparu en 1972, Maurice Chevalier n'est plus qu'un canotier et une poignée de chansons pour un public qui n'a plus vingt ans depuis longtemps... Celui qui fut le Français le plus connu dans le monde, exportant sur les 5 continents les chansons de Willemetz et Christiné, jouant face aux caméras de Ernst Lubitsch et Vincente Minelli, lançant Charles Trenet en popularisant Y'a d'la joie, inspirant Sammy Davis Jr et Sacha Distel, n'est désormais qu'un nom de place de son Ménilmontant natal. Les temps où des artistes du monde entier parodiaient Chevalier semblent antédiluviens. Créée en 1925 dans la Revue du Casino de Paris intitulée "Paris qui chante", la chanson Valentine de Willemetz et Christiné est l'une des rares rengaines du répertoire Chevalier capable de se fredonner de nos jours sans avoir besoin de fouiller trop loin dans sa mémoire. Extraite d'un show télé américain des années 50, la vidéo ci-dessous témoigne de ce que fut Maurice Chevalier de son vivant. Un homme copié, imité, et bien souvent largement égalé, voir dépassé. Et bien qu'il fut un piètre chanteur, mauvais danseur, doté d'un physique assez ordinaire, aucun artiste français n'a réitéré semblable carrière...!
* Ma route et mes chansons, 10 volumes (!) publiés chez Julliard, Paris
2 commentaires:
"Avec mon canotier, sur le côté, sur le côté, j'ai fait danser le twist, le twist, au monde entier !" Pour moi qui n'est plus vingt ans, quel bonheur de redécouvrir Maurice Chevalier ! Merci infiniment
MFB
J'aperçois une énorme faute d'inattention " je n'ai" plus vingt ans !!!!
MFB
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