"Pendant ces trois minutes trente de bonheur, le public, dans une bulle, se met en mode play-back, comme les chanteurs. On aurait dit que le tube avait sa vie propre, qui embarquait soudain tout le monde."
(Caroline Loeb, Has-Been, Flammarion, 2006)
Avant Henri Garat, il n'était pas vraiment question d'industrie phonographique. Bien sûr, les vedettes populaires brillaient de mille feux et un petit tour dans n'importe quelle phonothèque confirme les nombreux enregistrements effectués par Mayol, Mistinguett, Maurice Chevalier, Dranem ou Théodore Botrel. Mais acquérir un gramophone représentait un sérieux investissement, demeurant l'apanage des familles aisées. La population ouvrière disposait au mieux des partitions éditées en Petit Format sur lesquelles figurait la photographie du chanteur. Au pire, elle se rendait aux spectacles d'artistes locaux singeant les interprètes originaux. Ce n'est que dans les années 1930 qu'il se produisit un épiphénomène. Un ancien boy de Mistinguett devenu star du cinéma chantant se mit à vendre près de mille disques 78 tours par jour. Son nom? Henri Garat. Ses tubes? Tout d'abord Avoir un bon copain créé en 1931 dans le film Le chemin du Paradis, puis Amusez-vous écrit par Sacha Guitry et composé par Albert Willemetz (pour l'opérette Florestan Ier, prince de Monaco) en 1934, et surtout Un mauvais garçon tiré du film du même nom réalisé par Jean Boyer en 1936. La photo du playboy fit grimper les ventes des magazines de cinéma, ses apparitions provoquèrent des émeutes et sa vie mondaine nourrissait les potins de la Haute-Société. Ses films étant principalement tournés en Allemagne et produits par la UFA, la seconde guerre mondiale vint enrayer un processus qui semblait bien huilé. De mauvais investissements, la drogue, et des mariages impulsifs soldés par de ruineux divorces eurent bien vite raison de son inestimable fortune. Son public sera raflé par Tino Rossi durant l'Occupation et son retour après la Libération ne provoquera pas le moindre émoi. Henri Garat terminera sa carrière dans les années 50, en interprétant ses tubes au sein d'un spectacle de cirque dont il sera l'anonyme attraction, son nom ne figurant même pas sur les affiches. Il mourra dans un complet anonymat en 1959.
Plus veinard, le comique-troupier Gaston Ouvrard connût un regain d'intérêt inespéré lorsque Jean Yanne reprit son tube J'ai la rate qui s'dilate (en fait la chanson s'intitule Je n'suis pas bien portant) en 1961 dans une version twistée. Jean-Christophe Averty, ce génial cinglé du music-hall, intègrera Ouvrard au générique de plusieurs épisodes de son émission Les Raisins Verts, dont l'avant-gardisme provoquait de vives polémiques à cette époque où les Français n'avaient pas le choix entre plusieurs chaînes de télévision. C'est toujours vêtu de son costume de troufion que le septuagénaire débitera sans la moindre hésitation la chanson qu'il écrivit avec Vincent Scotto en 1932, aux côtés de Marcel Amont, chez Guy Lux en 1965, ou avec Claude François dans un show télé de 1968. Il décèdera en 1981 avec la satisfaction d'avoir interprété son titre fétiche pendant près d'un demi-siècle.
Arrêtons nous enfin sur Pierre Perrin que les dictionnaires de la chanson ont résumé comme "le chauffeur de taxi qui chante". Cet ancien artiste de music-hall connut une très mauvaise passe lorsque le twist et le rock'n roll rendirent désuets les spectacles traditionnels. Fini le temps des Revues à gros budget, les multiples attractions avant la projection d'un film où les numéros de cabaret qui s'étiraient sur un après-midi entier. La radio et le Teppaz imposaient chaque jour un nouveau nom et une nouvelle danse. Reconverti en chauffeur de taxi, Pierre Perrin fredonnait les mélodies qui lui passaient par la tête lorsqu'un producteur de disques, embarqué dans son véhicule, s'intéressa à l'air que venait de chantonner le conducteur. Aussi improbable que cela puisse paraître, c'est ainsi que le tango surréaliste Un clair de lune à Maubeuge se fit une place en 1962 entre le Mashed Potatoes et le Hully-Gully des yéyés. Le titre fut repris dans la foulée par Annie Cordy, Bourvil, et même Claude François (en twist, of course!). On réalisa un film sur l'incroyable aventure de Pierre Perrin qui joua son propre rôle aux côtés de Sylvie Vartan, Michel Serrault, Jean Carmet, Bernadette Lafont et Henri Salvador (Un clair de lune à Maubeuge de Jean Charasse, 1962). Las, si Perrin enregistra d'autres 45 tours, le succès l'abandonna avec une violence équivalente au tourbillon qu'il avait provoqué. A tel point que l'artiste en développa une forme de dépression, refusant de n'être plus qu'un vinyle rayé. Il écrivit, se débattit, implora, soutint que son arc disposait de nombreuses autres cordes, sa destinée demeura sourde à ce tapage et Pierre Perrin, complètement rangé des voitures, s'est éteint en 1985, son Clair de Lune ne l'illuminant plus depuis longtemps.
(Caroline Loeb, Has-Been, Flammarion, 2006)
Avant Henri Garat, il n'était pas vraiment question d'industrie phonographique. Bien sûr, les vedettes populaires brillaient de mille feux et un petit tour dans n'importe quelle phonothèque confirme les nombreux enregistrements effectués par Mayol, Mistinguett, Maurice Chevalier, Dranem ou Théodore Botrel. Mais acquérir un gramophone représentait un sérieux investissement, demeurant l'apanage des familles aisées. La population ouvrière disposait au mieux des partitions éditées en Petit Format sur lesquelles figurait la photographie du chanteur. Au pire, elle se rendait aux spectacles d'artistes locaux singeant les interprètes originaux. Ce n'est que dans les années 1930 qu'il se produisit un épiphénomène. Un ancien boy de Mistinguett devenu star du cinéma chantant se mit à vendre près de mille disques 78 tours par jour. Son nom? Henri Garat. Ses tubes? Tout d'abord Avoir un bon copain créé en 1931 dans le film Le chemin du Paradis, puis Amusez-vous écrit par Sacha Guitry et composé par Albert Willemetz (pour l'opérette Florestan Ier, prince de Monaco) en 1934, et surtout Un mauvais garçon tiré du film du même nom réalisé par Jean Boyer en 1936. La photo du playboy fit grimper les ventes des magazines de cinéma, ses apparitions provoquèrent des émeutes et sa vie mondaine nourrissait les potins de la Haute-Société. Ses films étant principalement tournés en Allemagne et produits par la UFA, la seconde guerre mondiale vint enrayer un processus qui semblait bien huilé. De mauvais investissements, la drogue, et des mariages impulsifs soldés par de ruineux divorces eurent bien vite raison de son inestimable fortune. Son public sera raflé par Tino Rossi durant l'Occupation et son retour après la Libération ne provoquera pas le moindre émoi. Henri Garat terminera sa carrière dans les années 50, en interprétant ses tubes au sein d'un spectacle de cirque dont il sera l'anonyme attraction, son nom ne figurant même pas sur les affiches. Il mourra dans un complet anonymat en 1959.
Plus veinard, le comique-troupier Gaston Ouvrard connût un regain d'intérêt inespéré lorsque Jean Yanne reprit son tube J'ai la rate qui s'dilate (en fait la chanson s'intitule Je n'suis pas bien portant) en 1961 dans une version twistée. Jean-Christophe Averty, ce génial cinglé du music-hall, intègrera Ouvrard au générique de plusieurs épisodes de son émission Les Raisins Verts, dont l'avant-gardisme provoquait de vives polémiques à cette époque où les Français n'avaient pas le choix entre plusieurs chaînes de télévision. C'est toujours vêtu de son costume de troufion que le septuagénaire débitera sans la moindre hésitation la chanson qu'il écrivit avec Vincent Scotto en 1932, aux côtés de Marcel Amont, chez Guy Lux en 1965, ou avec Claude François dans un show télé de 1968. Il décèdera en 1981 avec la satisfaction d'avoir interprété son titre fétiche pendant près d'un demi-siècle.
Arrêtons nous enfin sur Pierre Perrin que les dictionnaires de la chanson ont résumé comme "le chauffeur de taxi qui chante". Cet ancien artiste de music-hall connut une très mauvaise passe lorsque le twist et le rock'n roll rendirent désuets les spectacles traditionnels. Fini le temps des Revues à gros budget, les multiples attractions avant la projection d'un film où les numéros de cabaret qui s'étiraient sur un après-midi entier. La radio et le Teppaz imposaient chaque jour un nouveau nom et une nouvelle danse. Reconverti en chauffeur de taxi, Pierre Perrin fredonnait les mélodies qui lui passaient par la tête lorsqu'un producteur de disques, embarqué dans son véhicule, s'intéressa à l'air que venait de chantonner le conducteur. Aussi improbable que cela puisse paraître, c'est ainsi que le tango surréaliste Un clair de lune à Maubeuge se fit une place en 1962 entre le Mashed Potatoes et le Hully-Gully des yéyés. Le titre fut repris dans la foulée par Annie Cordy, Bourvil, et même Claude François (en twist, of course!). On réalisa un film sur l'incroyable aventure de Pierre Perrin qui joua son propre rôle aux côtés de Sylvie Vartan, Michel Serrault, Jean Carmet, Bernadette Lafont et Henri Salvador (Un clair de lune à Maubeuge de Jean Charasse, 1962). Las, si Perrin enregistra d'autres 45 tours, le succès l'abandonna avec une violence équivalente au tourbillon qu'il avait provoqué. A tel point que l'artiste en développa une forme de dépression, refusant de n'être plus qu'un vinyle rayé. Il écrivit, se débattit, implora, soutint que son arc disposait de nombreuses autres cordes, sa destinée demeura sourde à ce tapage et Pierre Perrin, complètement rangé des voitures, s'est éteint en 1985, son Clair de Lune ne l'illuminant plus depuis longtemps.
Gaston Ouvrard et Claude François "J'ai la rate qui s'dilate"
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