vendredi 28 mai 2010

Plus célèbres que le Christ....

Depuis trois semaines, les artistes sont crucifiés par plus spirituel qu'eux. Dieu dope les ventes d'albums, aidé -soulignons-le - par l'impressionnant prosélytisme de TF1. Pas moins de 200.000 fidèles se sont déjà rués sur les albums qui partent comme des hosties à l'Eucharistie. Les Prêtres plus forts que les Rolling Stones, titre le blog Ozap ce 28 mai 2010. C'est diablement sympathique! Ce sémillant boys band, de noires robes vêtu, comprend un curé, un vicaire et un séminariste, divinement castés (non, non, ce n'est point un lapsus, c'est bien écrit "castés") par Monseigneur Di Falco.

Des prêtres plus forts que les Stones, cela nous ramène quelques années en arrière, à la Sainte époque des Sixties. Une jeune dominicaine Belge, Jeanine Deckers, commit le pêché de détrôner de leur Saint Siège (à savoir le Billboard Américain) Elvis Presley et les Beatles tout à la fois, sous le pseudonyme de Soeur Sourire. Invitée du Ed Sullivan Show, en couverture de Paris Match, à l'affiche d'Hollywood sous les traits de Debbie Reynolds, la Singing Nun provoqua un tel déluge que sa congrégation en perdit son latin.


Il faut dire que le ton avait été donné dix ans plus tôt par le Père Aimé Duval, la calotte chantante cité par Georges Brassens dans le texte blasphématoire de Trompettes de la renommée (Il me laisse dire "merde"/ Je lui laisse dire "amen"). L'église était déjà pauvre... de vocations. La jeunesse de l'après-guerre ne buvait plus la Sainte Parole au calice et les radios portatives la détournait des psaumes.

Soeur Sourire leur est apparue telle la Providence. Pour les jeunes ou les amnésiques, rappelons que le refrain valait à lui seul son pesant de matza ! Dominique, nique, nique, ne contribua pas qu'un peu à populariser la rengaine. Le sous-entendu graveleux échappa complètement à la femme voilée tout comme France Gall, à peu près à la même époque, ignorait la double lecture du sucre d'orge coulant dans la gorge d'Annie, lorsqu'elle se mit en bouche Les Sucettes de Gainsbourg... Le conte de fées fit long feu. Trois années d'euphorie et trois millions de disques plus tard, Jeanine Deckers quitta le couvent pour mener seule sa carrière de star mondiale. Elle apprit vite que son nom de scène, les royautés et les droits d'auteurs qui allaient avec, demeuraient la propriété exclusive de sa Sainte Mère l'Eglise, ce que le fisc Belge feignit d'ignorer, l'acculant ainsi au désespoir (non, non, ce n'est pas un lapsus, c'est bien écrit "l'acculant". Quoique...). L'enfer sur terre, d'autant que le label Philips d'Universal continua d'exploiter en toute impunité les bénédicités sautillantes de Soeur Sourire. Elle tenta le tout pour le tout, vierge d'engagements, sous le nom de Luc Dominique, entamant le chemin de croix d'une carrière d'artiste déchue et se mit à chanter La Pilule d'or faisant écho aux Elucubrations d'Antoine. Point de miracle, elle ne ressuscita pas sa gloire défunte et mit fin à ses jours en compagnie de sa bien aimée, après un ultime Dominique, nique, nique remix disco sous la bénédiction de Gilles Verlant (parait-il).




Un film poignant a été réalisé par Stijn Coninx, grâce à la volonté farouche de son interprète principale, Cécile de France. L'actrice, fascinée par la part d'ombre de la religieuse redonne vie au personnage de Jeanine Deckers, dans toute sa complexité, bien loin de l'image cucul-la-praline de Debbie Reynolds. Cécile de France mit plusieurs années pour trouver des producteurs capables de défendre l'histoire d'une exaltée, mal à l'aise dans son époque. Ses rapports destructeurs avec sa mère, puis avec sa supérieure au couvent, avec les médias enfin pour lesquels elle écrivit la chanson Luc Dominique (Elle est morte Soeur Sourire (...) Messieurs les journalistes/ Et Messieurs les disquaires / Sans doute feront critique / Comprendront de travers), sont décrits avec justesse et pudeur.




Alors a-t-on prévenu Les Prêtres , ces dieux du Top, de l'existence de Soeur Sourire? Eux qui chantent l'Abbé Brel et le Frère Cabrel, vont-ils finir leur tournée sniffant de la poudre d'hostie, bourrés au vin de messe en s'enfonçant des crucifix dans l'agnus dei, with God on their side? Ou bien, comme cela est plausible, recyclés par Endemol dans un loft oeucuménique où les représentants de chaque religion seront soumis à la tentation par de petits pervers en culottes courtes, échappés du confessionnal? Avec pour générique Dominique, nique, nique remixé par David Guetta?

Sous couvert du voeu de pauvreté, voilà qui va encore gonfler les bourses du Vatican...et celles d'Universal. Amen!


mercredi 5 mai 2010

Ginsburg et Gainsbourg

Certains livres sont essentiels. La bibliographie Gainsbourienne génère chaque année maints ouvrages. Peu d'entre eux méritent le dédain. Succéder aux fouilles archéologiques du biographe Gilles Verlant relève pourtant de la prouesse, tant le passionné s'est évertué à imbriquer les pièces du puzzle, rencontrant pléthore de témoins, toutes époques confondues, exhumant la correspondance du père, le pianiste Joseph Ginsburg, retrouvant jusqu'au moindre dessin, conservé comme un lépidoptériste protégerait une aile de papillon, vestige d'une espèce éteinte. Pour ceux qui l'ignorent encore, avant d'être Serge Gainsbourg, auteur, compositeur et interprète majeur officiant pour un art mineur, il était un Lucien Ginsburg, peintre d'avenir.

Chaque interlocuteur de Gilles Verlant aurait pu, à lui ou elle seul(e), noircir plusieurs chapitre de son volumineux ouvrage. C'eût été imbitable. Il est en revanche un témoignage que les transis de Gainsbourg attendaient depuis longtemps. Depuis le 17 mars 1993 exactement, soit deux ans à peine après la disparition du génie de la chanson. Georges-Marc Bénamou dirigeait alors un nouveau magazine, Globe hebdo, vite devenu indispensable pour les avides de contre-culture à la veille de la cohabitation François Mitterrand-Edouard Balladur.

Ce 17 mars, un journaliste de Globe retrouve Lise Levitzky, première épouse et muse de Lulu Ginsburg. Lui confiant quelques archives miraculeusement épargnées (Gainsbourg détruira la plupart de ses dessins, tableaux et oeuvres d'art), ladite Lise promet de livrer l'essentiel de ses souvenirs dans un livre cosigné par le journaliste en question. On la voit en photo. Joufflue comme un beignet, les traits fins et gracieux, une crinière poivre et sel mal domptée, une peau que l'on devine lisse et poudrée, certainement douce, une bouche charnue qui appelle le baiser, des doigts longs et potelés dans lesquels un mégot volute à pleins poumons. Elle n'est pas conforme aux égéries répertoriées du grand Gainsbourg, ça non. Ni BB ni Birkin, moins encore Bambou. Mais on l'imagine aisément, au début des années 50. Il suffit d'éplucher les couches de chair comme on éplucherait un fruit et Lise Ginsburg, modèle pour les couturiers, apparaît sous les traits de cette sympathique mamie joufflue, le regard mutin comme celui d'une adolescente. Le journal suit quelques temps cette aventurière, alors militante chez les Verts.

Puis, plus rien.

Contactée par les éditions Textuel en 2005 afin d'obtenir son accord pour reproduire un dessin d'elle par son premier mari, à l'occasion de la préparation du coffret "Les manuscrits de Serge Gainsbourg" que j'eus l'honneur de réunir, Lise Lévitzky sembla méfiante. On lui avait volé tant de reliques si intimes. Et puis, elle ne voulait pas trop parler, elle préparait toujours son livre, ce livre tant espéré dont personne ne savait quel imprimeur aurait la chance d'en relier les pages, ni si nous en verrions un jour la moindre jaquette. Que lui voulions-nous au juste? Pas grand chose. Rien d'autre qu'un accord de reproduction d'un dessin inquiétant, où la beauté de ses vingt ans traversait le papier, le peintre Ginsburg ayant choisi d'enliser ses pieds dans du béton, de masquer son regard et de mettre en cage cette femme trop libre à laquelle il demeurera enlacé toute sa vie durant. Les dessins de Gainsbourg sont rarissimes. Celui-ci si évocateur. Comment aurions pu nous en passer tant il révèle la difficulté du créateur face aux femmes moins figées qu'un modèle? Lise accepta.


Il y a quelques semaines, le journaliste Bertrand Dicale annonçait la publication de "Lise et Lulu". Eminente plume responsable des meilleures chroniques de groupes alternatifs ébahis de se lire si beaux dans une presse qu'ils ne fréquentaient que sous la menace, Dicale a accompli une précieuse biographie de Juliette Gréco après des années au service du journal Le Figaro. L'homme maîtrise son vocabulaire, chaque phrase évoque une image, précise. Il n'écrit pas, il raconte, il décrit, il fait sentir et ressentir. Qui d'autre pouvait mieux aider Lise Levitzky à trier le capharnaüm de ses souvenirs? L'accompagner pour livrer les crimes dont elle fut tour à tour témoin et victime, entre horreurs de la guerre et viols incestueux? Avant Lulu, Lise a subi sa vie, sans trop savoir qu'on pouvait la choisir. Avant Lulu, Lise était un fardeau qu'on posait là où ça dérangeait le moins. Dans les yeux de Gainsbourg, elle va révéler une impétuosité qui séduira puis blessera le jeune artiste. L'histoire de Lise recèle bien des clés pour qui comprend le travail de Gainsbourg comme une oeuvre à tiroirs.


Dans son blog, Caroline Loeb a décrypté l'origine du roman-photo érotique "Bambou et les poupées" après avoir lu "Lise et Lulu". Ayant participé à l'élaboration de cet ouvrage du Gainsbourg photographe, Caroline sait aussi par coeur le travail d'Hans Bellmer et racommode les mailles du patchwork en digne petite-fille de son grand-père, évoqué dans ces colonnes, le galeriste Pierre Loeb dont on découvre avec stupeur qu'il fut le seul à déceler en Gainsbourg les talents d'un véritable peintre. Jusqu'alors, hormis le livre de Franck Maubert "Gainsbourg, voyeur de première", les propos relatifs à la peinture de Gainsbourg laissaient entendre qu'il aurait abandonné cet art par manque de talent. Pierre Loeb fut l'un des plus grands marchands d'art de son époque. Il exposa Pascin dès 1924, Joan Miró dès 1925, les surréalistes firent leurs premières armes dans l'art plastique au sein de sa galerie la même année, il soutint Dufy, Braque, Chagall, Balthus ou Giacometti, fut l'ami de Picasso et d'Antonin Artaud... Poète plutôt que vendeur, Pierre Loeb ne peut être soupçonné d'imposture. Lorsqu'il commande 40 toiles à Gainsbourg vers 1950, Lise et Lulu sont dépourvus de réseaux d'influence qu'auraient probablement méprisés le galeriste. Et l'on ne peut s'empêcher de songer que si Gainsbourg avait donné suite à la commande de Pierre Loeb, il n'aurait pas ressenti le besoin d'écrire des chansons. La peinture lui coûtait, dans tous les sens du terme, la chansonnette lui rapportait. Le choix fut ainsi fait. Lise le déplore. Pas nous.


En cela et beaucoup d'autres choses encore, "Lise et Lulu" est un livre indispensable.


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