dimanche 13 janvier 2013

Lettre ouverte à Mademoiselle Frigide Barjot (ou à ceux qui voudront bien y jeter un œil)



Mademoiselle Barjot (terme usité dans nos professions et qui me sied, ma foi),

J’utilise d’ordinaire les réseaux sociaux pour des raisons professionnelles. N’étant ni activiste politique, ni philosophe, ni analyste, je lutte pour ne pas rejoindre la meute qui s’estime autorisée à commenter tout et n’importe quoi et à porter des jugements sur tous et n’importe qui.

Ni sourd ni aveugle, je subis depuis quelques jours via ces mêmes réseaux des flots ininterrompus de commentaires concernant votre démarche dont le point d’orgue semble se dérouler à l’heure où je vous écris en ce dimanche 13 janvier 2013. Si on ne vous confie pas un poste de Dir’ Com’ ou la gestion d’une agence de pub, c’est à n’y rien comprendre…

Afin de clarifier ma position - puisque je décide ainsi de rompre mon vœu d’abstinence textuelle vis-à-vis des débats sociétaux sur la toile - j’apporte cette précision : je considère le couple comme un mode de vie contre nature dont je ne parviens à saisir ni le concept, ni l’intérêt. Le fait qu’une majorité d’humains considère l’enfantement comme un projet de vie, voire comme un aboutissement, me laisse totalement perplexe et m’annoncer un « heureux événement » a refroidi plus d’une de mes relations amicales. Autant dire que le mariage et la procréation sont deux sujets dont je me brosse au gant de crin (d’où probablement l’inexplicable douceur de ma peau ….) et que je me contrebranle d’imposer à qui que ce soit cette vision des choses qui m’est personnelle, l'extinction de la race humaine n'ayant pas besoin de mon soutien pour s'avérer probable d'ici quelques siècles.
Manifestement, mes amis qui twittent et qui facebookent ne partagent d’ailleurs pas mon opinion. Soit.

J’ajoute que ma date de naissance m’octroie plus de quarante années de vie sur terre, ce qui ne cesse de me surprendre, fâché que je suis avec les chiffres. Ce détail n’a en soi aucun intérêt, excepté celui d’expliquer que mon adolescence s’est déroulée au beau milieu des années 80. Mon esprit et ma libido furent donc nourris par le vent de liberté qui permit alors à Serge Gainsbourg, Mylène Farmer ou Guesh Patti d’offrir au plus grand nombre des clips torrides et provocants, aux radios FM naissantes d’explorer sans fausse pudeur les mondes infinis des sexualités de nos contemporains tout en permettant à la musique française de se renouveler par de savants métissages, de reculer les limites de l’humour grâce aux Nuls ou à Coluche, d’abreuver ma soif de connaissance par le biais de magazines aussi innovants que GLOBE, le mensuel LES INROCKUPTIBLES ou les publications délirantes du groupe JALONS dont vous fûtes l’égérie. Ces nouveaux vecteurs ont littéralement sauvé la vie au gamin introverti et dépressif qui végétait au cœur d’une campagne réactionnaire en lui ouvrant les portes d’autres mondes que le sien. En cela, je vous dois bien quelque chose et n’hésite donc pas à vous offrir gracieusement de précieuses minutes de mon temps pour vous écrire, voyez ma générosité...

 

Ces années-là furent également le symbole de libération de l’homosexualité, bien que l’apparition du SIDA donna un sévère coup de frein à main au bolide. Elles symbolisèrent également l’amitié entre les peuples, la solidarité pour les causes humanitaires et confirmèrent la domination culturelle et économique des USA.

Depuis lors, les vingt-cinq années qui se sont écoulées n’ont fait que confirmer la crainte que vous avez émise hier soir dans l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier. Oui, l’homme blanc, hétérosexuel et catholique est une espèce menacée. Oui, la société reflète aujourd’hui une étendue des minorités dont l’influence ne cesse de croître au point que l’inimaginable s’est produit : un homme de couleur à la Maison Blanche, un Maire gay à Paris, des femmes Présidentes de nombreuses Républiques, des représentants officiels de partis politiques et des ministres français d’origine maghrébines, asiatiques ou africaines, une plus grande visibilité des personnes handicapées…etc. Et alors? Quel est le problème? Si ce n'est que certains de vos camarades de trekking dominical  doivent en passer des nuits blanches à en pisser du lait !

A l’heure où nombre de personnages médiatiques redoutent ouvertement ces mutations, deux attitudes s’imposent. Les accepter ou les combattre. Vous avez choisi la seconde option au nom de la protection des enfants, si j’ai bien compris vos propos. Ah, le bel argument imparable qu’il serait suspect de vouloir remettre en cause !

Dites-moi, s’il vous plait, depuis quand la société française se préoccupe des droits des enfants car cela m’a échappé. Depuis les débuts de la Vème République, vos enfants sont élevés dans un système qui ne propose qu’une seule alternative. Se battre pour devenir le meilleur d’entre eux, si possible en écrasant la concurrence. Sans cela, point de salut. Qu’en voilà une belle protection. Nous sommes censés naître libres et égaux en droit. L’école, le statut social des parents, le niveau intellectuel de ces mêmes parents - ou plus souvent DU parent, le cadre de vie, l’entourage personnel, ces éléments et tant d’autres contribuent à l’épanouissement ou non d’un enfant. Or, l’Education Nationale continue à se voiler la face en laissant croire que chaque élève est l’égal de son voisin de classe, en n’adaptant pas les situations aux cas particuliers, en dépêchant des professeurs dont l’objectif premier s’est noyé dans la poudre de Lexomil, en n’exploitant pas les ressources individuelles pour que la moyenne corresponde à une généralité au lieu de favoriser les particularités, en oubliant que l’Histoire et l’Instruction Civique sont fondamentales à la compréhension de notre époque.

Si je continue dans vos arguments, je lis qu’un enfant s’épanouit exclusivement s’il connaît son père et sa mère biologiques. Heureusement que la réalité contrarie ce raisonnement burlesque. Vous qui êtes une femme, et à ce titre, avez eu la capacité physique d’enfanter, savez mieux que personne qu’il suffit de posséder des organes génitaux en état de fonctionnement pour procréer. Avez-vous des statistiques sur le nombre de marmots qui ignorent l’identité de leur père ou à qui l'on a menti sur ce sujet ? Et ce depuis la nuit des temps. Avez-vous des statistiques sur les humains qui connaissent leurs parents biologiques et sont, malgré cela, fébriles psychologiquement ? Parce que battus, violés, abandonnés ou tout simplement mal aimés, ce qui suffit largement.

Connaître ses parents biologiques serait une des clés du bonheur ? Allons, allons, Mademoiselle Barjot, comprenez bien qu’en agitant cette ineptie, vous faites le jeu d’individus qui privilégient l’affrontement au raisonnement et ne faites que ratifier votre pseudonyme. En appelant à lutter contre un projet de loi visant à légiférer sur des méthodes contemporaines de procréation, vous niez les progrès de la science mais ne les annulez pas. Ce combat est perdu d’avance, que l’on y soit favorable ou pas.

Catholique, dites-vous ? Dieu n’est-il pas censé avoir créé l’homme à son image ? La PMA, le clonage, les OGM, toutes ces méthodes qui cherchent à se mesurer au Créateur doivent certes être encadrées. Mais qui peut objectivement croire que les avancées scientifiques s’arrêteront là ? D’ailleurs faut-il le souhaiter ? Demain, grâce à cela, nous pourrons guérir des maladies incurables, réduire des handicaps, lutter contre la faim dans le Monde. De vrais miracles qui vous offriront l’opportunité d’ajouter quelques chapitres à cette Bible dont les histoires abracadabrantesques de procréations Divines semblent ne pas vous lisser la crinière.

En prônant vos convictions que je pense sincères, vous abreuvez les intégrismes dont la soif de haine à l’égard du prochain est aux antipodes de vos croyances. Pensez-vous sincèrement que la manifestation de ce jour est nourrie par vos thèses ? Ne croyez-vous pas sincèrement que vos positions sont une aubaine pour les milliers de nos concitoyens qui ont la faiblesse de vouloir un monde qui ne ressemble qu’à eux ? Je n'ose croire que vous approuvez les propos emplis de haine et de bêtise crasse fortement relayés ce jour par l'ensemble des médias et du coup par mes amis virtuels. L'avidité de notoriété vous pousse-t-elle dans des retranchements aussi abjects?

Dans cent ans, mille ans, dix mille ans, le monde de vos descendants ne sera plus qu’un vaste espace dont la population, identique et métissée mangera et boira la même merde "made in USA" ou "made in China" aux quatre coins du globe. Ils auront les mêmes pratiques, les mêmes divertissements, les mêmes mœurs, les mêmes croyances. Il suffit pour s’en convaincre de voyager dans le Monde pour s’apercevoir que tout s’uniformise à grand pas. Les poches de résistance ne seront plus que des villages d’Astérix dans un univers appauvri de sa diversité.

Vous ne sauverez vos enfants de cette fatalité, Mademoiselle Barjot, qu’en aiguisant leur curiosité, en encourageant leurs différences, en développant leurs particularismes. Pas en leur laissant croire que l’on doit stopper les évolutions de la société ni en servant la soupe à des dinosaures.

Je vous laisse à votre quart d'heure de gloire, Chère Mademoiselle, ayant exprimé ce que j’avais sur le cœur et n’ayant nulle envie de poursuivre un débat stérile, le mot est de circonstance. Une petite suggestion cependant : n’oubliez pas de laisser dans un coffre un peu de votre ADN. Il n’est pas interdit d’envisager que vos arrière-petits-enfants souhaiteront vous cloner pour s’assurer que vous avez vraiment existé et défendu les propos moultement relayés ces jours-ci. Vous serez au moins assurée de demeurer dans l’avenir ce que vous avez toujours été, une extravagante fantaisiste.

Bien à vous,

Laurent Balandras
Auteur, éditeur et producteur musical, activité censée adoucir les mœurs….