vendredi 11 juin 2010

Vas-y Ginette (2) Ciao Garcin!


Ma Ginette, ça me fout les boules que tu sois morte. Pour un peu, je t'appellerai pour t'engueuler. Il y a quelques jours, quand on s'est parlés, je ne voulais pas croire que ce serait la dernière fois. J'avais compris, mais ça m'emmerdait prodigieusement cette histoire de cancer qui revient sans qu'on lui demande rien. Bien sur, tu as évoqué tes douze projets en cours et ceux auxquels il fallait s'atteler dès ta sortie de l'hôpital.


Et ce livre. Le livre de tes souvenirs sur lequel on travaillait depuis trois ans. Pas assez régulièrement d'ailleurs. Mais comment faire avec une actrice qui tourne sans cesse et enchaîne les téléfilms, les pièces de théâtre, les chansons. On a tout de même sacrément avancé et ces dimanches passés à puiser dans ta mémoire, aidés par ta soeur adorée, Jacqueline, sont devenus au fil du temps des rendez-vous attendus avec impatience. On savait qu'on allait se marrer et pleurer, parfois. "On va jamais le finir ce bouquin", pestais-tu. Ben non, on l'aura jamais fini...


C'est Caroline Loeb qui nous a présentés. Un autre projet qui n'a pas vu le jour, parmi les multiples qui trottaient dans ta tête, tu voulais refaire un spectacle de music-hall et déployer tous les talents qui étaient les tiens, chanter, danser, faire des claquettes, jouer la comédie, avec Caroline à la mise-en-scène. A 80 piges, le défi avait de la gueule. Ta série télé, la pièce de Mezrahi, celles que tu écrivais dès qu'un moment se profilait, en ont décidé autrement.
"Je n'étais pas faite pour ce pays", combien de fois me l'as-tu dit? Sur les planches depuis l'âge de six ans, danseuse aux côtés de Réda Caire à dix ans, chanteuse dans l'orchestre de Jacques Hélian a vingt ans, vedette populaire du cinéma à quarante ans, tu n'as jamais eu la reconnaissance de tes confrères. L'amour du public populaire compensait largement cette défaillance. Le métier n'a pas su entendre quand tu chantais des absurdités de Boby Lapointe ou de Jean Yanne, alors inconnues, aujourd'hui standards de la chanson fantaisiste.
Ils ont zappé les séquences d'anthologie de films essentiels comme Dupont Lajoie ou Cousin, Cousine. Ils ont oublié Le Nègre de Van Cauwelaert ou Le Passe-Muraille de Marcel Aymé, pour lequel Michaël Jackson s'était déplace pour te saluer d'un "I love you" qui t'émoustillait encore dix ans après.


Ces trois années à t'écouter, ma Ginette, m'ont réjoui au plus haut point. Je t'ai entendu cent fois me raconter la même anecdote et faire l'impasse sur des moments importants que Jacqueline se chargeait de te remémorer avec l'accent chantant de Marseille qu'elle n'a pas perdu. On a tout revu à la loupe, de ton enfance phocéenne à tes derniers jours de tournage.

Lorsque vous êtes retournées vivre à Boulogne, Jacqueline et toi, il y a quelques mois, tu m'as dit "C'est incroyable, je reviens dans l'appartement que j'occupais avec mon mari Beauvais, l'amour de ma vie, comme s'il voulait que je vienne finir mes jours là où il est mort. Je sais que ça paraît con mais il veut que je meure ici". Tu avais raison, bordel.


Il n'y a rien à regretter. Ta vie a été remplie d'expériences plus exceptionnelles les unes que les autres. Tu as tout bouffé dans l'enthousiasme, la joie, le plaisir. Tu en as profité jusqu'au bout.
Notre dernière sortie ensemble fut consacrée au show d'Olivia Ruiz au Zénith. Tu adorais cette gamine et elle te l'a bien rendu. On s'est éclatés comme des gosses.

Mais l'idée qu'il n'y aura plus de dimanches, qu'on ne pourra plus se parler, que je ne pourrais plus t'emmener voir Olivia en concert, qu'on ne regardera plus les photos en riant, qu'on n'évoquera plus Jean Marco en pleurant, franchement, je trouve ça dégueulasse.

Je te salue, Ginette, et je te remercie de m'avoir accordé la si mince quantité de temps dont tu disposais. Je suis fier d'avoir croisé ta route.

Laurent




Ginette Garcin et Jean Marco

http://pagesperso-orange.fr/jacques-helian/sommaire.htm