samedi 22 novembre 2008

LETTRE A MIRIAM MAKEBA par SOLORAZAF


Née en Afrique du Sud le 4 mars 1932, Miriam Makeba était l'une des chanteuses sud-africaines les plus connues dans son pays comme à l'étranger où elle a acquis la célébrité grâce à des succès comme "Pata Pata" ou "The Click Song" mais également à travers ses prises de position contre l'apartheid en vigueur dans son pays.
Bannie par le régime d'apartheid en raison de son apparition dans un film dénonçant la ségrégation blanche, elle a vécu 31 ans en exil, notamment aux Etats-Unis et en Guinée. Surnommée "Mama Africa", Miriam Makeba était rentrée dans son pays au début des années 1990 après la libération de Nelson Mandela.


Voix légendaire du continent africain et symbole de la lutte contre l'apartheid, la chanteuse âgée de 76 ans est décédée d'une crise cardiaque après un concert pour l'écrivain italien menacé de mort par la mafia Roberto Saviano, dans la nuit du 9 au 10 novembre, près de Naples (sud de l'Italie).


- AFP -



SOLORAZAFINDRAKOTO, dit SOLORAZAF est né en France. Il passe son enfance à Madagascar avant de s'installer à Paris. A partir de 1979, il accompagne de nombreux artistes de scène et de studio. Autodidacte, l'expérience de vivre deux cultures lui permet de se batir un style personnel basé sur les traditions musicales malgaches

www.myspace.com/solorazaf



"Paris ce 20 novembre 2008


Chère Miriam Makeba,

Vous êtes partie...Vos cendres seront bientôt dispersées dans l'Océan Indien selon vos derniers souhaits, certainement au Cap Point là où l'Atlantique et l'Océan Indien se rejoignent. Pour moi Solorazaf, guitariste qui ai eu le privilège d'avoir été responsable de votre groupe musical une bonne décennie sur quinze ans passés à vos côtés sur les scènes du monde entier, c'est une maigre consolation que de savoir qu'un peu de votre poudre magique se mélangera au sable fin de la côte orientale de l'île de Madagascar, la terre de mes ancêtres où j'aurais tant aimé vous accueillir. Vous me l'aviez souvent demandé mais cela ne s'est pas fait, sauf que, après réflexion, un pont musical était déjà établi entre le "Mbaqanga " Sud Africain et les rythmes du sud de l'île rouge. C'est certainement grâce à cette promiscuité musicale entre Joburg et Antananarivo que j'ai pu jouer si longtemps votre répertoire sans jamais éprouver de lassitude (pour employer un terme sportif, je jouais à domicile).


Lorsqu'on parcourt des milliers de kilomètres sur le manche de la guitare, on ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec les pas de danse de "Pata Pata" (Toucher toucher), ces pas à pas qui impriment sur scène les dernières nouvelles du continent africain, bonnes où mauvaises ? Les deux : colportées par un bouche à oreille mélodique puissant, c'est surtout l'oeuvre d'une Mama Africa criant, gueulant et vomissant sur ses enfants toute la souffrance des opprimés, des laissés pour compte,bref un combat universel.


Vous n'étiez pas une personne facile à vivre, mais je déteste la banalité, et là j'ai été servi mais je ne garde que le meilleur : merci de m'avoir fait faire vos premières parties, de nous avoir fait rencontrer - aux amis musiciens et moi - les grands que sont Dizzy Gillespie, Nina Simone, Odetta ...à la ville comme à la scène. Que de tournées mondiales en tambour et trompettes! Du joyeux et de l'énergie rien que pour vous : publics de l'Olympia, du Carnegie Hall, de L'Opéra House où encore du Hollywood Bowl. C'est dans un club de Paris, (le Memphis Mélodie ) que cette "aventure" avait commencé pour moi : alors que nous assurions le dernier set du samedi au dimanche avec Tao Ravao, c'est à dire à quatre heures du matin, Al Sanders le chef d'orchestre de Miriam Makéba de l'époque est passé et m'a proposé après audition de rejoindre le groupe. Aujourd'hui j'associe tous mes potes musiciens à cette lettre que je vous adresse: Al Sanders, Raymond Doumbé, Smith Haliar, Luther Perreault, Patrick Bebey, Papa Kouyaté, Brice Wassy et bien d'autres...vos musiciens Sud Africains, Français, Camerounais, Martiniquais, Malgaches, Maliens, Ivoiriens, Américains, Brésiliens, Guinéens, Guadeloupéens...tous originaires de l'espace terrien.

MIRIAM MAKEBA? c'est vraiment de la musique du monde, celle du coeur, jouée par des gens du monde entier pour tout le monde : c'est le plus bel héritage que vous m'ayez laissé!

Allez,on fait passer le message, pour ne plus pleurer.

SOLORAZAF "



Voir aussi : l'excellent blog "lire-écouter-voir" (ici)


Miriam Makeba avec Hugh Masekela, Nelson Mandela et Paul Simon

dimanche 2 novembre 2008

Ça, c’est Palace

Oyez, oyez, amoureux du music-hall!! En ce mois de novembre 2008, un événement d'importance se déroule sous vos yeux ébaubis : la réouveture du mythique Palace. Bien avant d'avoir été le lieu des nuits les plus gays de Paris, sous la direction du désormais légendaire Fabrice Emaer, souvenons-nous que Le Palace fut un bijou de l'entre-deux guerres, sculpté par les non moins géniaux Oscar Dufrenne et Henri Varna.

Programme du Moncey Music-Hall, Oscar Dufrenne et Henri Varna en 1922


Les années folles


Dufrenne et Varna. Ces noms sans doute peu évocateurs pour les moins de 100 ans firent briller le Faubourg Montmartre de mille éclats de rire, d'autant d'applaudissements, lorsque les deux comparses rebaptisèrent, en 1923, le café-concert Eden en Palace. L'Eden avait -déjà - connu quelques déboires les deux années précédentes. Fins experts en la matière, Dufrenne et Varna dirigeaient alors le Concert Mayol (où ils créèrent les revues de nus), l'Empire, le Moncey Music-Hall et les Bouffes du Nord. Ils ne s'arrêteraient pas en si bon chemin. Le Bataclan leur échouera en 1927 tout comme Les Ambassadeurs et le Casino de Paris. De vrais Lagardère du spectacle!


Le Palace des années 1920 visait le haut du panier. En partenariat avec le music-hall Londonien du même nom, les deux salles s'échangeaient artistes et répertoire. Le danseur et chanteur Harry Pilcer (partenaire de Gaby Deslis et Mistinguett) vint y entonner du Irving Berlin et le clown musical Grock (auteur de la fameuse réplique "Sans blâââaaague!" reprise par Coluche dans les années 1970) s'y refit une santé en 1925.


Grock au Palace en 1925

En 1931, Oscar Dufrenne, toujours à l'avant-garde, transforma Le Palace en cinéma. La même année, il produisit au Casino de Paris les revues "Paris qui remue" avec Joséphine Baker (elle y créa "J'ai deux amours") et "Paris qui brille" avec Mistinguett (comprenant l'hymne "Je suis née dans l'Faubourg St-Denis"). Il vendit l'Empire au "Beau Serge" plus connu sous son nom de Stavisky. Devenu conseiller municipal et président du syndicat des directeurs de spectacle, Dufrenne était alors un personnage du Paris artistique et politique. Une belle réussite pour cet ancien apprenti chanteur, un temps reconverti en impresario (il fit ses classes avec l'artiste Mayol) et désormais patron des plus grandes salles de music-hall de la Capitale.


Le goût affirmé de Dufrenne pour les beaux garçons est-il à l'origine du crime survenu en septembre 1933? Où cela est-il en lien avec l'affaire Stavisky? De rares témoins certifient avoir aperçu un jeune homme déguisé en marin, amant notoire du directeur, le soir du 25 septembre. Le corps de Dufrenne fut découvert par un employé du Palace, nu, le crâne défoncé. Le pamphlétiste Léon Daudet y vit là un crime politique. Rien ne fut prouvé.


Après des funérailles pompeuses comme on les devaient à un élu, les affaires de Dufrenne revinrent à son collaborateur, Henri Varna. Profondément affecté par la disparition de ce compagnon des jours heureux, Varna débaptisa le Palace et y réintroduisit les spectacles de music-hall jusqu'à la fin des années 30. Le nouvel Alcazar (en hommage à un café-concert disparu) tint bon jusqu'à la seconde guerre mondiale puis mua de nouveau en cinéma. Varna accomplit le reste de sa longue carrière au Casino de Paris tandis que le Palace sombrait dans l'oubli.




Les années des folles

Il fallut attendre 1975 et Pierre Laville, dramaturge et metteur en scène, pour que l'endoit fut fréquenté de plus belle par des gens du spectacle. Et pas n'importe lesquels, s'il vous plait. Laville y produisit du théâtre expérimental qui fit long feu, attirant toutefois l'attention du ministre de la Culture, Michel Guy. Celui-ci y installa provisoirement son Festival d'Automne. Le directeur de boîtes de nuits Fabrice Emaer s'enquérit de l'avenir de ce bâtiment plus très frais mais de belle architecture.


Il suffit d'une tafiole à son gouvernail et le Palace retrouve éclat et splendeur d'antan. Avec Emaer, la Reine des Queers, le lieu accueillit le Tout-Paris-qui-chante-et-qui-pétille. Comme Dufrenne, Emaer avait écumé les lieux parisiens, fondateur du Pimm's et du Sept. Comme Dufrenne, Emaer s'inspirait des anlo-saxons. Il fit du Palace une sorte de réplique frenchy du Studio 54 de New York. Comme Dufrenne, Emaer disparut prématurément dans des circonstances, certes, moins glauques.

Les années Palace débutèrent en 1978, inaugurées par la diva Grace Jones, montrant la voie à des dizaines d'artistes d'horizons différents. Amanda Lear, Devo, Serge Gainsbourg et sa Marseillaise reggae, Prince, Bette Midler ou Siouxies and the Banshees se succédèrent sur scène tandis que dans la salle le public assistait au défilé permanent de Pacadis, Thierry Ardisson, Yves Mourousi, Karl Lagerfeld, Pierre et Gilles, Caroline Loeb, Jean-Charles de Castelbajac, Paloma Picasso, Mick Jagger, Thierry Le Luron, Yves Saint-Laurent, Loulou de la Falaise, Andy Warhol, Frédéric Mitterrand, Roland Barthes, Foc Kan, Andrée Putman, Jean-Paul Goude ou Maria Schneider pour n'en citer qu'une poignée parmi les plus assidus. Repère de mixités sociales, sexuelles ou culturelles, les marginaux de tous poils trouvaient la porte grande ouverte, ce qui contraignit Emaer à ouvrir Le Privilège, sous le Palace, un club select, histoire d'éviter aux princesses de repartir avec du vomi sur leurs visons.


Gainsbourg, Le Luron, Emaer, Mourousi




A mi-chemin entre les années Punk et les années Disco, le Palace organisa notamment une mémorable fête de la Cité des Doges initiée par Lagerfeld, tandis qu'au Bal Punk, Edwige arriva avec un sac plein de pattes de poulets. Caroline Loeb lui demanda ce qu'elle faisait avec ça. "Ce sont des confettis punks" répondit-elle, face à une Loeb hilare.


Les années défilent


Des documentaires et de nombreux bouquins retracent cet âge d'or des nuits parisiennes dont le glas sonna au moment de la mort de Fabrice Emaer, emporté par un cancer des reins en 1983. Les années sida firent leur apparition et la fête se teinta de deuils. Les matinées au crématorium du Père-Lachaise remplacèrent les afters-défonce. Repris par des associés d'Emaer, la boîte perdura et s'illustra en diffusant un genre nouveau, la House Music, parce qu'il fallait bien ça pour s'assommer et ne plus entendre les sanglots des survivants. Le Palace échoua dans les années 90 au couple Guetta qui ne put réveiller les esprits du Gay Paris. Une enième fermeture intervint en 1996. Définitive, disait-on alors.

Définitive? Eternel Phénix, le Palace s'enticha des frères Vardar en 2006. Propriétaires de nombreux théâtres en France et en Belgique, ils décidèrent vite de ne pas jouer la carte de la nostalgie. Le nouveau Palace sera désormais consacré aux spectacles populaires. Des sièges ont recouvert le dance floor et l'humoriste Valérie Lemercier vient inaugurer les lieux refaits à neuf avec un one-woman show comme elle n'en a plus produit depuis 5 ans. Les nuits seront moins folles mais le décor d'un siècle d'extravagances confère à cette partie du 9ème arrondissement de Paris quelque chose d'unique, à deux pas de ses copains de chambrée, le Casino de Paris et les Folies Bergère. Tiens, les Folies, un des rares music-hall n'ayant pas appartenu à Oscar Dufrenne...


A voir, le blog d'Edwige : http://discorough.blogspot.com/

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