mardi 23 octobre 2007

BERTRAND BELIN, l'ange volage


Il est urgent d'aimer Bertrand Belin.
Son visage d'ange volage ne plaide pourtant pas en sa faveur. Dans le domaine de la variété, les français cèdent parfois à la blondeur sauvage d'un Johnny Hallyday où aux pâleurs brunes d'un Patrick Bruel. Certes. Mais lorsque l'on évoque les artistes majeurs du XXième siècle chantant, force est de constater que chacun déploie une imagination farouche pour se fabriquer une gueule. Rassemblez au générique d'un même film Aznavour, Trenet, Brassens, Gainsbourg, Brel, Barbara et Piaf, vous obtiendrez là un parfait casting de seconds rôles à même de ravir Howard Hawks, Billy Wilder et Elia Kazan réunis.

Par bonheur, le nez de Bertrand Belin dessine, selon l'angle d'où on l'observe, une courbe légèrement sinueuse, aussi subtile que son écriture, aussi sensuelle que le frôlement si particulier de ses doigts sur les cordes de sa guitare. Le nez de Bertrand Belin est donc le laisser-passer indispensable pour lui permettre de côtoyer les géants de la chanson française.

Pour le reste, il n'est besoin que de lire (ou plutôt de dire dans un murmure) quelques phrases piochées de ci-de là dans ce qui constitue déjà une oeuvre, en deux albums à peine :

Les tempêtes ont laissé sur le chemin d'ici des troncs entiers de honte (T'as l'vin t'as pas l'vin)

Au sein de quelle clique a-t-elle mis les voiles
Au dos de quel orque
Vous a-t-on parlé à mon grand dam
De frêles esquifs et de rocs (La longue danseuse)

Ma chère tante Madeleine
Tes bigoudis, c'est des fleurs de printemps, bouées d'hortensias
Clochettes des champs
Un bouquet de jeunes impatients (Madeleine)

Fait-il si beau là-bas où vous êtes à présent
A regarder vos mains sans les reconnaître
A mettre dans ma voix rien de plus que ma voix (La perdue)

Que Belin évoque la maladie d'Alzeihmer, un couple à la dérive, la beauté ardente des cités de la péninsule ibérique ou des personnages de son quotidien, ses textes coulent comme cette liqueur de Porto dont il nous régale dans son premier album. Oniriques, les chansons de Bertrand Belin sont des plats raffinés pour gourmets.

Il n'existe, hélas, aucune vidéo digne de ce nom pour allécher qui ne sait rien de ce chanteur circonflexe. L'extrait de concert filmé ci-dessous n'est qu'un amuse-bouche. Et puisque le visage de Bertrand Belin en est l'écrin, soulignons son incroyable ressemblance avec un autre esthète qui vécut près d'un siècle auparavent, Earl Leslie.

Evidemment, personne ne connaît Earl Leslie. Pas même ceux qui l'ont approché. Né au début du XXième siècle aux Etats-Unis, il fut repéré en 1921 dans un musical à Londres par Mistinguett qui savait orner sa presque cinquantaine aussi bien de plumes et d'aigrettes que de jeunes partenaires dont elle faisait double usage, à la scène comme à la ville. Parmi les fort nombreux danseurs de la Miss, Earl Leslie demeure le moins célèbre bien qu'il fut le plus impliqué dans l'histoire du Music-Hall des années folles. Outre son talent physique incontestable qui lui valut de figurer très rapidement en couverture des partitions de La Java - (oui, un mythe s'effondre, le parfait Titi Parisien est amerloque!) - il devint rapidement ce que les anglo-saxons appellent producer des grandes revues de sa chère et tendre. Earl Leslie fut donc l'un des concepteurs de ces spectacles qui virent trompher Mistinguett, réglant les chorégraphies, veillant à la valeur de chaque numéro tout en n'omettant pas de mettre en avant sa partenaire lorsqu'ils partageaient la scène du Moulin-Rouge. Devenu plus français que les français, Earl Leslie rendit tant d'hommages au pastis et au vin rouge qu'il y noya sa carrière et fit fondre sa place de favori au milieu des glaçons. Avant de repartir pour les USA, il eût le bon goût de produire Joséphine Baker dans la revue où elle créa son hymne, J'ai deux amours. Puis, Leslie s'éprit d'une Carmen et l'oiseau rebelle s'en fut sans ne plus donner signe de vie. Demeurent quelques photos et films amateurs où apparaît cette silouhette qui ressemble à s'y méprendre à Bertrand Belin dont il était question avant cette digression.
Il est urgent d'aimer Bertrand Belin, des fois qu'une Carmencita ne nous l'emporte au fil du Tage voguer vers les Amériques...

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