lundi 12 janvier 2009

Obamhayes & Bogdanoff

Etre le premier force autant l'admiration que la suspicion, chaque Tour de France en apporte l'illustration. Le Premier connaît l'euphorie qu'il soit premier du Top 50, Premier Ministre ou Premier de la classe. Les classements n'étant pas immuables, le Premier finit par décrocher, et là, ça se gâte. Le Premier qui chute du podium recueille les sarcasmes, proférés par ceux qui saluèrent son ascencion. Il existe en revanche un statut de Premier incontestable dont l'aura perdure au fil du temps, c'est celui de "Premier à avoir fait quelque chose que les autres n'ont pas fait". Là, c'est la classe absolue. Rien à dire, même en cas de dégringolade. L'Histoire retiendra que Clovis fut le Premier Roi des Francs, Gutemberg, le Premier à imprimer un livre, Edison, le Premier à enregistrer la voix humaine, Neil Armstrong, le Premier homme ayant marché sur la lune, Marie Curie, la première femme inhumée au Panthéon et Barack Obama le Premier noir à devenir Président des Etats-Unis qu'il y en ait d'autres ou pas.



La musique n'est pas avare de ces Premiers. A quelques jours de l'investiture d'Obama, il n'est pas anodin de se remémorer Roland Hayes, le Premier noir américain ayant mené une carrière de chanteur lyrique. C'est en Géorgie, un Etat du Sud des Etats-Unis, que naquit Roland Hayes en 1887. A la même époque, à Paris, un fou génial, Gustave Eiffel, lançait les travaux d'une tour de métal qui deviendrait l'emblème de la ville-lumière. En Amérique, la ségrégation raciale prenait le relais sur l'esclavagisme bien que les États du Dixieland n'avaient pas changé grand-chose à leurs mauvaises habitudes. La mère de Roland Hayes déménagea dans le Tennessee à la mort du père. Le gamin avait onze ans. Il chantait à l'église et dans les rues, pour se faire un peu d'argent de poche. Repéré par un professeur de musique, son destin bascula. En plus du chant, le prof lui donna une éducation, opportunité inespérée pour ce fils d'esclaves. Roland Hayes finit par entrer à la Fisk University de Nashville, une Université pour élèves noirs, créée juste après la Guerre de Sécession. Afin de récolter des fonds pour son fonctionnement, cette Université eût l'idée de créer une chorale baptisée Fisk Jubilee Singers. Le groupe donna plusieurs séries de concerts et partit même en tournée en Europe. Le succès fût assez significatif. Roland Hayes rejoignit la mercanterie. En 1911, le président de l'Université lui proposa de devenir leader du groupe à l'occasion d'une tournée à Boston. Hayes accepta et décida de rester dans le Massachussets. Il voulait louer l'Orchestre du Symphony Hall de Boston pour donner ses premiers concerts de soliste. Hayes réussit ce pari insensé, multipliant les petits boulots. Il s'auto proclama ainsi concertiste classique, se débrouillant pour assurer lui-même la promotion de ses représentations. Rapidement, sa réputation dépassa la ville. On le réclama même au Carnegie Hall de New York. En 1920, il partit pour l'Europe, réclamé par le Roi George d'Angleterre pour chanter à la cour. Au travers de ces multiples périgrinations, il s'éprit de la Comtesse Berthie von Colloredo-Mansfeld (née Comtesse von Kolowratt). mariée à un aristocrate autrichien, la belle comtesse succomba aux charmes du ténor et du fuir au fin fond de la France pour accoucher. Maria-Dolorès, fruit de cette passion, enfantera beaucoup plus tard. Ses deux jumeaux, nommés Igor et Grichka Bogdanoff, deviendront à leur tour très célèbres, en animant, en France, la première émission télévisée consacrée à la Science-Fiction. Ont-ils jamais croisé la route de leur illustre aïeul?



Un incident ordinaire chassa Roland Hayes de Géorgie. Sa femme et sa fille commirent le crime de s'asseoir à l'emplacement réservé aux blancs dans un magasin de chaussures. C'était en Juillet 1942. Cela fit la "une" des journaux et la famille s'exila sous la menace du Gouverneur de l'Etat raciste.



Roland Hayes chanta jusqu'en 1973, soit quatre années avant de mourir. Il enregistra de nombreux Negro Spirituals toujours réédités.






Roland Hayes était né de parents esclaves en 1887, dans un Etat d'Amérique qui contribuerait précieusement à l'histoire mondiale de la musique puisqu'y naîtront, entre autres, Ray Charles, James Brown, Little Richard, Otis Redding et Jessye Norman, excusez du peu. Précisons que dans ce coin du Sud des USA, on continue d'y injecter légalement la mort dans des veines afro-américaines, curieuse reconnaissance.

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