samedi 14 février 2009

LES ANNEES NONANTE

Il n'y aura pas de journaux pour relater la disparition de Laura Couderc. C'est injuste. Partout où elle s'est posée, Laura a embelli les vies quotidiennes de centaines de personnes qui ne le sauront peut-être jamais. Des Lilliputiens dans les rues d'Ixelles, des installations dans le Centrum de Bruxelles, des flips books pour l'amour de l'art contemporain... A Valence, Villefranche-sur-Saône, Paris ou Bruxelles, Laura a enchanté tout un chacun, rêvant et réalisant des projets insensés, qu'elle seule visualisait. Nous mêmes, ses proches, restions parfois dubitatifs face à ses projections sur des toiles en mouvement, ses descriptions de réalisations à venir trop conceptuelles pour nos cerveaux étriqués.

Heureusement, certaines créations de Laura Couderc demeurent. Qu'il s'agisse des décors magiques filmés par Abel et Gordon dans L'iceberg (DVD, Mk2), Rumba ou du site Labelenchanteur qu'elle a entièrement conçu et qui me doit régulièrement des élans admiratifs et amusés.



Il n'y aura pas de journaux qui narreront son histoire, ses histoires, tour à tour et tout à la fois chanteuse à la voix rocailleuse derrière Jean-Michel Taliercio à l'époque insouciante de l'E.M.P.P., dans le sillage du crooner Enzo Piccinato ou auprès de son amie Cloé du Trèfle, mais aussi photographe, artiste plasticienne, dessinatrice... Tiens, d'ailleurs il me faudrait retrouver ce livre que nous avions conçu ensemble, édité à deux exemplaires, non par snobisme mais par jeu, Story of a princess. Comme tous nos projets débiles, celui-ci naquit de soirées où nous refaisions le monde, à Paris, souvent avec Cécile Montmasson. Nous étions persuadés que le talent de Laura éclaterait un jour. D'ailleurs, l'été dernier, les demandes de collaboration affluaient rue Hottat, dans cet appartement lumineux où Frédéric Jadoul, son compagnon, lui rendait la vie plus agréable.



Aucun journaliste ne dira non plus cette histoire cocasse. Nous rendions alors visite à Renaud, au studio ICP. Le chanteur donnait l'impression de ne plus tenir à la vie, peinant à écrire, persuadé de ne plus pouvoir chanter. A ses côtés, les fidèles Bucolo, Lanty et Langolf usaient de mille stratagèmes pour tenir leur ami. En sortant, Laura me dit "Le mec au cheveux longs m'a fait un plan drague assez relou en me disant que j'avais une super voix et me demandant si je ne voulais pas chanter. Je l'ai envoyé promener". Sans savoir qui il était, Laura venait de moucher Franck Langolf, l'un des compositeurs les plus en vue, d'un talent monstre qui, certainement, ne draguait pas ma Rirette mais avait repéré cette voix grave et rapeuse, unique, qui aurait pu conduire Laura à chanter davantage qu'elle ne le fit. Mais Laura n'a jamais voulu se mettre en avant. D'ailleurs, il existe trop peu de photos d'elle et si jamais une ou deux circulaient, elles les trouvaient ratées et moches.



Renaud renaquit de ses cendres, Langolf et Laura sont partis. Les signes extérieurs sont curieusement peu fiables. C'était la fin de nos années nonante. Moi à Paris, ma Rirette à Bruxelles, cet incongru Royaume qu'elle m'a permis d'apprivoiser, m'autorisant le luxe de devenir une sorte de Belge d'adoption. Aujourd'hui, tous les amis de Laura Couderc, Enzo, Tom, Gina, Jeff, Jean-Mi, Cathy, Béa, Naphta, Gérard, Cécile et tant d'autres, allons porter en nous la joie d'avoir connu ce petit bout de femme au caractère trempé. On va se remémorrer nos soirées interminables, colorées par les nuages de fumées et le vin qui brunit les lèvres. Pour toujours et à jamais, il ne me sera plus possible de regarder un viewmaster, un pain de viande, un flip book, une brole du marché aux puces, un tourne disque en plastique des années septante, un album de Matthieu Bogaerts, Marc Minelli ou Daniel Darc, un cendrier en forme de coquillage ni un Barbapapa sans penser à Laura. D'autres détails reviendront surement et ça appaise la douleur de savoir qu'on garde en nous une petite part de Laura Couderc. Cela compensera un peu l'article de journal.

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