dimanche 3 août 2008

Sardou, ça r'dure!



Au milieu du XIX° siècle, la France danse la valse-hésitation. Monarchie? République? Empire? Le drapeau tricolore flotte au-dessus de ces bouleversements politiques comme l'un des rares signes de stabilité. Le bon peuple non plus ne goûte guère de différence à ces régimes successifs. Les privilèges abolis sous la Révolution perdurent en dépit des gouvernants, le labeur n'est pas moins pénible et les congés payés ne sont pas pour demain. Les voix émanant des "beuglants" tentent de se frayer un chemin dans la cacophonie du Second Empire naissant. Paris la festive s'embellit de théâtres et de salles de spectacles où les premières opérettes s'échappent du cerveau toqué du compositeur Hervé. Le café-concert réunit la faune des ouvriers, tout droit sortie de "L'assommoir". Parquée dans les "poulaillers" du dernier étage, elle interpelle chanteuses et comiques tout en reluquant le bourgeois placé au premier rang. La fumée du tabac crée l'unique lien entre ces deux castes, elle s'évade des cigares et les volutes montent picoter les yeux des blanchisseuses.

A Toulon, le travail ne manque pas pour un charpentier de marine. De nombreuses expéditions parcourent des contrées méconnues, Mexique ou Indochine. Baptistin-Hippolyte Sardou ne compte pas ses heures. D'autant que la ville s'est dotée d'un théâtre et il se murmure que les charpentiers du chantier naval sont les meilleurs pour monter les décors. Volontaire pour emboîter façades et mobiliers factices après sa journée de labeur, Sardou se fait d'autant moins prier qu'il est attiré par l'ambiance de la scène. Entre deux panneaux de bois, il regarde les comédiens répéter et rêve de se joindre à eux. Que faut-il donc pour faire l'acteur, si ce ne sont quelques planches de bois et la passion de la comédie? Baptistin se fabrique ainsi la scène qu'il trimballera dans toute la région pour y faire le mime, rejoint par son rejeton, le petit Valentin, né en 1868. Le gamin baigne dans son jus comme une sardine en boîte dans son huile. Parvenu à l'âge d'homme, c'est décidé, il sera saltimbanque. Un saltimbanque "professionnel". Et à cette époque, dans le midi, pour entrouvrir la porte du succès, le prétendant doit emprunter le couloir menant à l'impitoyable public de L'Alcazar de Marseille. Tous les mémoires publiés par des célébrités chantantes confirment le passage par L'Alcazar de Marseille comme le summum de la prouesse. On peut remplir Ba-Ta-Clan, l'Alcazar d'été des Champs-Elysées, trôner en couverture de la revue "Paris qui chante" et orner des cartes postales en des poses avantageuses, si l'on n'est pas sorti vainqueur de L'Alcazar de Marseille et de son public plus sévère que n'importe quel jury de télé-crochet d'aujourd'hui, on est au mieux "une vedette du Nord", au pire, une lavette.

L'ALCAZAR
Une anecdote plaisante bien qu'incertaine, illustre cette épreuve. Un soir de revue, le présentateur annonce le numéro suivant, à savoir Clara Tambour, une artiste mélodramatique (tout cela bien entendu "avé l'assent") : "Mesdameus z'et messieurs, voici mainetenaint la chaineteuse Clara Taimebour". Du fond de la salle, une voix mâle dominant l'assemblée s'exclame, tonitruante, "C'est uneu puteu!", provoquant une vague d'hilarité grasse comme un beignet. Gêné, bien qu'habitué, l'annonceur tente de rattraper le coup d'un circonspect "Quoiqu'il hein soit, voici Clara Taimebour!". Et la chanteuse, dont l'expression pathétique n'était pas feinte ce jour-là, d'effectuer son entrée sous les salves d'un public hilare, recouvrant l'orchestre censé jouer une introduction larmoyante.

Certes il est pittoresque ce public Marseillais mais celui ou celle qui parvient à se le mettre dans la poche reçoit consécration et respect des artistes confirmés comme des directeurs de théâtre. Valentin Sardou ne sachant guère de quel bois se chauffent les publics une fois franchies les frontières de sa Provence, apprivoise ce monstre à mille yeux et réussit, comme l'on dirait d'un examen, son passage à L'Alcazar dont on retiendra la certification estampillée en 1905. La notoriété de Sardou junior établie régionalement, cela garantit une sérieuse rente au jeune comique qui aurait probablement suffit à son bonheur. C'était sans compter sur Mayol!


MAYOL
Dans les années 1900, les gloires du café-concert s'appelaient Dranem, dans le rôle d'idiot du village, Polin, le comique troupier, Fragson, le dandy anglais et enfin, avec sa houppette blonde et son brin de muguet à la boutonnière, Mayol, l'idole des femmes - bien qu'il ne fut point réputé pour leur avoir retourné le compliment. Ce quatuor dominait nettement tous les autres artistes et chaque région possédait ses propres répliques, sosies, parodies, de ces idoles.



partition Mayol



De tous, Mayol est le plus entreprenant. C'est ainsi que, fortune faite à la Capitale, le Toulonais se porte acquéreur en 1910 du Concert Parisien aussitôt rebaptisé Concert Mayol, sis rue de l'Echiquier. Chaque lieu ayant son chapelet de vedettes, il faut des têtes d'affiches au créateur de "Viens poupoule", "La Mattchiche" et "Lilas blanc" (dont on notera au passage qu'on les fredonnent encore cent ans plus tard). Au lieu de débaucher une valeur confirmée, comme l'aurait fait n'importe qui, Mayol pressent la vogue méridionale prête à souffler dans les bronches des parisiens comme le mistral s'époumonant sur les oliviers. Il commande une revue à Vincent Scotto, prodige marseillais, tout juste auréolé de sa "Petite tonkinoise", l'un des plus grands succès grivois de Polin. Le livret est signé Yves Mirande, futur scénariste de renommée mondiale. Et les acteurs, pas moins que Tramel et Raimu. Pour clore sa distribution, il fait monter à Paris son petit-cousin, un certain Valentin Sardou.

LA TRIBU SARDOU
Il ne fait jamais bon être en avance sur son temps, et si la revue est applaudie chaque soir, ce n'est pas encore le triomphe qu'obtiendront les opérettes marseillaises vingt ans plus tard. Pour Sardou, c'est le début d'une vie nouvelle, d'autant qu'il masque sa liaison avec une jolie petite danseuse avignonnaise embauchée dans le spectacle. Éperdument amoureuse, elle prend le pseudonyme croquignolet de Sardounette, dévoilant ainsi le pot aux roses. De toutes façons, les signes du tendre rapprochement entre les deux artistes auraient trahis la danseuse. Ainsi, Valentin partage quelques mois durant, la scène avec son futur fils, Fernand Sardou. Les rondeurs masquées par un costume de cygne, Sardounette - censée incarner Vénus - sacrifie son rôle pour demeurer sur scène avec ses Sardou. Leur enfant deviendra une des figures légendaire de la Provence aux côtés de Scotto, Pagnol, Raimu, Sarvil, Andrée Turcy, Rellys, Alibert, Fernandel, Charpin et tant d'autres.

Fernand Sardou, contre l'avis paternel, embrasse tout à la fois une carrière d'artiste et la jeune danseuse Jackie Rollin. Jackie n'a rien à envier au patrimoine généalogique de son prétendant. N'est-elle pas la fille du comique marseillais Rollin et de Bagatelle, danseuse qui eût son heure de gloire au Moulin-Rouge en dansant le quadrille, ce fameux french can-can dont La Goulue demeure la figure de proue? Ce duo va séduire le public populaire. Fernand incarnera éternellement le bon gars du midi au cinéma et dans l'opérette, Jackie Sardou, quant à elle, s'imposant comme une incontournable du théâtre de boulevard. Pouvaient-il faire autrement que donner naissance à un enfant de la balle? Michel Sardou va perpétuer les traditions familiales et porter le nom de son père au sommet des hit-parades avec des chansons qui diviseront critiques et public, se frotter au théâtre et au cinéma. 40 années de carrière n’altéreront pas sa popularité.




En octobre prochain, un siècle après la révélation de Valentin à L'Alcazar de Marseille, son petit-fils Michel Sardou va jouer sur la scène légendaire du Théâtre des Variétés une pièce intitulée "Secret de famille". Il aura pour partenaire un certain Davy Sardou, l'arrière-arrière-petit-fils de Baptistin-Hippolyte Sardou, le charpentier devenu mime. De père en fils, ils cumulent 150 ans de music-hall! Qui dit mieux?




il est pourtant une autre famille du spectacle à-même de rivaliser avec les Sardou, celle des Brasseur. On dit en effet que Jules Brasseur fonda le Théâtre des Nouveautés en 1878 puis une lignée d'acteurs toujours vive. Il est troublant de constater qu'en 2008, Michel et Davy Sardou vont se donner la réplique sur une scène parisienne quelques mois après le triomphe remporté par le classique de Sacha Guitry "Mon père avait raison", joué par... Claude et Alexandre Brasseur. Une autre histoire passionnante sur laquelle il faudra revenir bientôt.




1 commentaire:

Anonyme a dit…

quelle famille et que sa continue la relais vous est tendue les enfants de michel