mardi 1 juillet 2008

MORITURI TE SALUTANT



"Le disque se meurt. Vive la chanson!". Sur ces mots se conclut le post que l'ami Baptiste Vignol consacre aux albums à venir de Carla Bruni et de Julien Doré. Ce slogan est le nôtre. Celui de générations amoureuses du support physique, contraintes d'admettre sa disparition imminente. Ce constat ne nous empêche pas toutefois de succomber face à l'offre furibarde que représentent les sites légaux, les blogs persos et les initiatives de collectionneurs barjos. Grands consommateurs de musique, la toile décuple notre boulimie sans l'assouvir jamais puisqu'il devient possible de s'immerger dans des rivières inexplorées mises à jour par de généreux vétérans ou de découvrir de nouvelles sources ruisselantes sur les myspaces du monde entier.

Le prochain disque de Carla Bruni sera, probablement, le dernier album de chansons en langue française à même de générer, dans sa version non virtuelle, des droits d'auteurs jusque là réservés à Claude François, Mylène Farmer, Edith Piaf ou Jean-Jacques Goldman, héros récurrents du "Top Ten Export" des palmarès annuels de la SACEM. Fait doublement historique -il s'agit tout de même du premier disque enregistré par une femme de président de la République! - sa parution sonnera le glas des heures joyeuses de l'industrie phonographique. C'est ainsi. Son succès prévisible rassurera momentanément ceux qui refusent de tourner la page de l'histoire du disque. Carla Bruni permettra de reculer l'échéance. C'est une forme d'exploit en soi.



Le concept du support physique est apparut vers 1857, il y a donc 150 ans. Trente années de recherches furent nécessaires pour enfanter le cylindre, premier objet capable de restituer la voix enregistrée. Cinq encore pour imaginer le disque. Depuis lors, ces inventions ont engendré une industrie qui n'eût de cesse de chercher, de renouveler, d'améliorer. Un son toujours meilleur, des durées encore plus longues, des objets sans cesse plus beaux. L'aventure excitât les appétits. Pensez donc! Le XX° siècle devint le premier dans l'histoire de l'humanité à conserver intact les voix parlées et chantées de ses contemporains.
Rapidement associée au cinéma dont l'histoire est parallèle, cette révolution fit de nous les héritiers de cent années de témoignages audiovisuels de célébrités et d'anonymes. Pour la première fois, des civilisations n'ayant à leur disposition que l'oralité furent filmées et enregistrées, des événements historiques retransmis en direct ou pieusement recueillis par des micros et des caméras. La création se trouvât enrichie par ces découvertes et la musique sortit vainqueur de cette bataille d'ingénieurs : on peut aujourd'hui entendre une chanson de Mayol cent ans après qu'il l'ait gravée, assister à un concert d'Edith Piaf quarante ans après sa mort, écouter les pistes séparées d'un disque des Beatles ou percevoir le rythme des respirations de Chet Baker. Tout ceci, et plus encore, est désormais à notre disposition, d'un clic de souris sur un ordinateur ou un téléphone portable.


Aimerait-on parfois retrouver les plaisirs démodés, ceux que les gamins d'aujourd'hui ne connaîtront plus? Désirer fortement un disque et l'attendre avec impatience. Découvrir d'abord sa pochette et l'ouvrir soigneusement avant de le poser sur sa platine. L'user jusqu'au bout du saphir en rêvant d'un nouvel achat. Le ranger précieusement avec l'idée de se constituer une discothèque dont on est fier.

Et bien tout cela est terminé. Fini. Mort, et bien mort! En témoigne cet échange verbal entre deux adolescentes, surpris à une station de bus :

"-T'as vu le film sur Ray Charles hier à la télé?
- Non. J'connais pas trop en fait.
- Putain, c'est mortel ce qu'il fait ce mec. Si tu veux j'te télécharge l'intégrale."

L'intégrale de Ray Charles! Comme ça. D'un coup. Sans passer par les tubes, les premiers albums, les concerts mythiques, les versions alternatives, les trésors cachés au fond d'un opus méconnu. Directement l'intégrale, sans initiation. Quel courage.






Tandis que des mômes gavent leurs Ipod d'intégrales qu'ils n'écouteront probablement jamais, et nous punissent d'avoir été si peu pédagogues en ne leur enseignant pas la valeur de la chose enregistrée, une poignée de cinglés se réfugie vers le support physique avec une passion proportionelle à son extinction. Sur Ebay, les phonographes se négocient à prix d'or. Certains collectionneurs dépensent de petites fortunes pour acquérir des septante-huit tours (comme disent joliment nos voisins Belges) de Django Reinhardt ou de Suzy Solidor. D'autres dilapident leurs économies pour les pressages originaux de Serge Gainsbourg, les collectors de Johnny Hallyday ou les premiers maxi 45 tours de Mylène Farmer. Les sites marchands, à l'affût des marchés de niche, proposent désormais des platines USB pour graver en mp3 sa discothèque de vinyles, et certains éditeurs publient des livres entiers de reproductions des plus belles pochettes de 33 tours. Sans compter les fadas qui s'éreintent en sites majestueux consacrés à l'histoire de la chanson, offrant au plus grand nombre leur savoir impeccable et des trésors amassés durant de longues années (voir ci-dessous).

Continuons donc d'acheter des CD. Dans cent ans, ils seront les témoins de la fin d'une époque. Il n'est pas interdit que vos petits-enfants vous bénissent d'avoir investi quelques euros pour obtenir l'album de Carla Bruni dont on cherchera, peut-être, les différentes éditions un peu partout dans le monde...? "Le disque se meurt. Vive la chanson!" comme le dit si bien Vignol.



SITES HISTORIQUES DE REFERENCE :

Du Temps des cerises aux Feuilles mortes - Un site sur la chanson française de 1870 à 1945


Site consacré à l'histoire des personnages qui ont marqué la chanson, depuis l'époque du "café-concert" jusqu'au music-hall




Site répertoriant opérettes et comédies musicales avec navigation par auteur, compositeur, interprète, lieu, année, éditeur et oeuvre.






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